Et tu n’es pas revenu by Marceline Loridan-Ivens

Et tu n’es pas revenu by Marceline Loridan-Ivens

Auteur:Marceline Loridan-Ivens
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Bernard Grasset
Publié: 2014-06-14T16:00:00+00:00


Jacqueline m’offre des fleurs le 10 mai, comme si c’était mon anniversaire. Chaque année, ça me touche beaucoup, nous sommes proches, différentes et attentives l’une à l’autre, il ne reste que nous deux. Le 10 mai, c’est la date de ma libération par les Russes à Theresienstadt. Je suis née ce jour-là. Je sais que Jacqueline le fait pour moi mais aussi pour son père.Mon retour est synonyme de ton absence. A tel point, que j’ai voulu l’effacer, disparaître moi aussi. J’ai sauté dans la Seine deux ans plus tard, l’année où Henri se mariait. C’était un peu après le quai Saint-Michel, j’avais enjambé le parapet, j’allais m’élancer quand un homme m’a retenue. Puis j’ai eu la tuberculose, on m’a placée dans un sanatorium chic en Suisse, à Montana. Maman venait me voir parfois. Je ne supportais pas son impatience, cette façon qu’elle avait de me réclamer d’aller bien et d’oublier. J’étais si lourde. J’ai tenté de mourir une deuxième fois.

Au camp pourtant, j’ai tout fait pour être des vivantes. Ne jamais me laisser aller à l’idée que la mort c’était la paix. Ne jamais devenir celle que j’ai vue se jeter dans les fils électriques. Elle ne fut pas la seule, c’était devenu une expression commune, aller au fil, mourir vite, électrifiée ou sous une rafale de mitraillette depuis le mirador, puis tomber dans le profond fossé creusé juste devant les barbelés. Ne jamais renoncer à la volonté de vivre, ne jamais ressembler à celles qui se laissaient aller, choisissaient la négligence, un lent détachement de leur corps, une mort plus progressive. Elles commençaient par ne plus garder d’eau au fond de leur gamelle pour se laver un peu, elles ne mangeaient plus, se retiraient, on les appelait les musulmanes, je ne sais pas pourquoi, encore un mot des Polonaises, peut-être à cause de leur couverture qu’elles posaient sur leur tête. Bientôt, plus décharnées que nous encore, elles n’étaient plus aptes au travail et partaient pour la chambre à gaz. J’ai tenu, moi. J’ai surmonté les maladies et combattu la tentation de me laisser couler. J’ai fait mon premier jeûne de kippour pour me sentir plus juive, et digne encore face au SS. J’ai developpé toutes les stratégies de survie. Peut-être ai-je même commencé dans le wagon. Tu te souviens ? Nous arrivions, nous étions à bout, silencieux, c’était l’aube, le train ralentissait, je suis montée sur les épaules de quelqu’un, j’ai regardé par la lucarne, j’ai vu un groupe de femmes qui marchaient cinq par cinq, elles semblaient porter la même robe, elles avaient toutes un foulard rouge sur la tête, alors j’ai dit : « On va avoir des costumes ici. » Je plaquais les mots de la civilisation sur ce qui nous attendait, je préférais ça au mutisme qui t’avait gagné ainsi que tous les autres. Je résistais déjà. Et quand les portes se sont ouvertes, j’ai écouté le murmure des déportés dans leurs habits rayés qui me disaient : « Donnez les enfants aux vieillards, dites que vous avez dix-huit ans.



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